Verlaine affirme être né sous le signe de Saturne (planète responsable, selon les astrologues de la mélancolie), ce qui expliquerait son tempérament triste et inquiet.
Il publie en 1884 une anthologie intitulée Poètes maudits. Ce recueil, consacré à des poètes contemporains, comporte des textes d’Arthur Rimbaud, de Mallarmé et ses propres textes qu’il signe du pseudonyme de Pauvre Lélian (anagramme de Paul Verlaine).
Doté d’une sensibilité exacerbée, le poète maudit est un marginal qui se sent incompris, rejeté, en conflit avec la société de son époque et ignoré par l’institution littéraire. Il mène une vie déréglée marquée les excès en tous genres (drogue, alcool), affiche sa mélancolie et se montre parfois irrévérencieux voire provocateur.
Dans ses textes poétiques, Verlaine exprime toute une gamme de sentiments : l’ennui, la mélancolie, l’inquiétude (« L’heure du berger »), les tourments de l’âme (« Marine ») et l’apaisement (« La lune blanche »), sont évoqués tour à tour.
Verlaine fait souvent correspondre un paysage à un état d’âme.
Dans sa représentation du monde, il privilégie aussi les sensations que produit sur son âme l’observation de la nature et ne cherche pas à reproduire objectivement la réalité.
La tristesse vague qui accable le poète se manifeste dans les textes par des paysages aux contours incertains, brumeux ou flous éclairés de lumières douces et diffuses et habités de voix et de musiques délicates et voilées.
Il emprunte donc la plupart de ses procédés au courant artistique de l’impressionnisme.
1. «L’heure du berger»
La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;
Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leur spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;
Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.
Poèmes Saturniens, 1866
2. «Soleils couchants»
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon cœur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.
Poèmes Saturniens, 1866
3. «Marine»
L'océan sonore
Palpite sous l'œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
Et que chaque lame
En bonds convulsifs
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,
Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
Poèmes Saturniens, 1866
4.
La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée…
Ô bien-aimée.
L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…
Rêvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…
C’est l’heure exquise.
La Bonne Chanson, 1870
5.
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! Nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine.
Romances sans paroles, 1874
6. «Spleen»
Les roses étaient toutes rouges,
Et les lierres étaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.
Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours,- ce qu’est d’attendre !
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas!
Romances sans paroles, 1874
7.
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer,
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Mouette à l’essor mélancolique.
Elle suit la vague, ma pensée.
À tous les vents du ciel balancée
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l’essor mélancolique.
Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d’été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au lointain le pilote
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer,
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Sagesse, 1881
Inscrivez votre recherche ici !
Flashez ce QR Code !
Ajouter aux favoris (CTRL-D)
Imprimer cette page (CTRL-P)
Rechercher sur cette page (CTRL-F)