Verlaine et Rimbaud


Leur rencontre a lieu à Paris, en 1871. Verlaine invite Rimbaud qui lui avait envoyé des poèmes.

 

Verlaine abandonne sa femme et son enfant pour partir en voyage avec son jeune ami en Belgique puis en Angleterre. Il écrit le recueil Romances sans paroles au cours de ce voyage.

 

Leur relation est passionnelle et orageuse. Dans un accès de violence, Verlaine tire sur Rimbaud avec un pistolet et le blesse. Il est condamné à deux ans de prison.

 

 

 

 

Croquis de Rimbaud réalisé par Verlaine

(juin 1872)

 

 

 

 

1. Le poème suivant, publié dans le recueil Sagesse, a été composé par Verlaine lors de son séjour en prison (juillet 1873-janvier 1875).

 

Le ciel est, par-dessus le toit,

Si bleu, si calme !

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme.

 

La cloche, dans le ciel qu'on voit,

Doucement tinte.

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit

Chante sa plainte.

 

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.

 

- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse ?

Sagesse, 1881

 

 

2. « L’auberge » est une réécriture du poème de Rimbaud que le jeune poète a écrit en 1870 et qui s’intitule « Au Cabaret-vert ».

 

Murs blancs, toit rouge, c’est l’Auberge fraîche au bord

Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,

L’Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.

Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passe-port.

 

Ici l’on fume, ici l’on chante, ici l’on dort.

L’hôte est un vieux soldat, et l’hôtesse, qui peigne

Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,

Parle d’amour, de joie et d’aise, et n’a pas tort !

 

La salle au noir plafond de poutres, aux images

Violentes, Maleck Adel(1) et les Rois Mages,

Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux.

 

Entendez-vous ? C’est la marmite qu’accompagne

L’horloge du tic-tac allègre de son pouls.

Et la fenêtre s’ouvre au loin sur la campagne.

(1) Sultan légendaire de Damas

Jadis et Naguère, 1884

 

 

3. «Au Cabaret-Vert»

 

Cinq heures du soir

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines

Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.

- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines

De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

 

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table

Verte : je contemplai les sujets très naïfs

De la tapisserie. – Et ce fut adorable,

Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

 

- Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! –

Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,

Du jambon tiède, dans un plat colorié,

 

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse

D’ail, - et m’emplit la chope immense, avec sa mousse

Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Arthur Rimbaud, Poésies, 1891

 

 

Sonnet dédié par Verlaine à Rimbaud :

4. «A Arthur Rimbaud »

 

Mortel, ange ET démon, autant dire Rimbaud,

Tu mérites la prime place en ce mien livre,

Bien que tel sot grimaud t’ait traité de ribaud

Imberbe et de monstre en herbe et de potache ivre.

 

Les spirales d’encens et les accords de luth

Signalent ton entrée au temple de mémoire

Et ton nom radieux chantera dans la gloire,

Parce que tu m’aimas ainsi qu’il le fallut.

 

Les femmes te verront, grand jeune très fort,

Très beau d’une beauté paysanne et rusée,

Très désirable, d’une indolence qu’osée.

 

L’histoire t’a sculpté triomphant de la mort

Et jusqu’aux purs excès jouissant de la vie

Tes pieds blancs posés sur la tête de l’envie.

« Dédicaces » (1890), Œuvres complètes de Paul Verlaine, 1902-1905, poème LXII