La préface : Pour qui? Pourquoi? Comment?


Définition

Une préface est en littérature, un texte d’introduction et de présentation d’un ouvrage. Qu’elle accompagne un roman, une pièce de théâtre ou tout autre genre littéraire, elle peut être de longueur variable : si certaines ne dépassent pas une page, d’autres peuvent s’étendre sur une trentaine de pages.

 

La lecture d’une préface, qu’elle soit rédigée par l’auteur de l’œuvre qu’elle précède (préface auctoriale) ou par une autre personne, peut s’avérer difficile et fastidieuse dans la mesure où les écrivains s’y livrent régulièrement à des réflexions théoriques sur la littérature et y évoquent souvent les différentes étapes du processus de création.

 

On ne peut donc pas réduire la préface à une présentation, à une introduction de l’œuvre qu’on s’apprête à lire.  L’écrivain, certes, évoque son contenu, expose généralement ses intentions, ses choix d’écriture, la manière dont il a composé son œuvre, mais profite parfois de cette introduction pour se défendre contre les critiques dont ses œuvres sont la cible ou pour contrer celles à venir. La préface s’apparente alors à un plaidoyer.

 

En tant que créateur, il utilise également la préface comme une tribune pour exposer ses idées sur la société, l’art et la littérature. Certaines préfaces, comme celle qui précède le drame romantique Cromwell de Victor Hugo, sont de véritables manifestes (écrits théoriques qui présentent un mouvement artistique ou littéraire et en exposent les principales caractéristiques).

 

Lorsque l’écrivain attaque les idées de ses prédécesseurs ou de ses contemporains la préface devient polémique.

 

Quelques caractéristiques à retenir pour rédiger une préface :

- L’auteur de la préface exprime ses idées personnelles, d’où l’emploi de la première personne du singulier ou du pluriel (le plus souvent). On relève de nombreux indices de la subjectivité dans le texte.

- La préface a une visée informative et argumentative. L’écrivain peut y évoquer ses sources d’inspiration, présenter les étapes de l’élaboration de l’œuvre, les difficultés rencontrées au cours de la création, ses priorités, les choix qu’il a opérés, ...

Il peut également exposer des idées sur un genre ou un mouvement littéraire, répondre à des critiques, ...

- Placée juste avant l’œuvre, la préface, qui fait partie du paratexte, doit donner envie au lecteur de lire le roman, le recueil de poèmes ou la pièce de théâtre qui suit.

Extrait de la préface de La Fortune des Rougon-Macquart, Émile Zola, 1871

Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

 

Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j’aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l’œuvre, comme acteur d’une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble...

Paris, le 1er juillet 1871.


Trois préfaces résumées :

1. La Mère coupable de Beaumarchais, 1792 (5 pages)

 

Beaumarchais commence par préciser que la première publication de sa pièce de théâtre a eu lieu pendant La Terreur (Révolution française) par ses amis qui ont dû apporter des modifications, de peur de représailles. Jugeant ces transformations fâcheuses, il a décidé de restituer l’œuvre originale.

 

Il évoque ensuite la trilogie qu’il a composée (Le Barbier de Séville – Le Mariage de Figaro – La Mère coupable) et ce qui fait son unité : le personnage du comte Almaviva en est le fil conducteur : Le Barbier de Séville a fait rire le public en évoquant « la turbulente jeunesse du comte Almaviva », Le Mariage de Figaro a traité avec gaieté « les fautes de son âge viril » et  La Mère coupable est un « tableau de sa vieillesse » qui montre que l’homme finit toujours par être bon.

 

Si Beaumarchais a choisi de présenter une pièce pathétique, un « tableau touchant » c’est parce qu’il pense que le spectacle de la douleur peut rendre meilleur.

 

Il affirme s’être inspiré de la réalité pour écrire sa pièce, des agissements d’une personne, pour créer le personnage de Bégearss (« je n’aurais pas pu l’inventer ») et apporte des précisions sur ce nouveau type de Tartuffe,  qu’il distingue de celui de Molière (Tartuffe de la religion) car il s’agit ici plutôt d’un « Tartuffe de la probité » qui s’attire « la respectueuse confiance de la famille entière qu’il dépouille [ensuite]». Beaumarchais, « peintre du cœur humain », cherche ici à mettre en garde les spectateurs contre ce type d’hommes.

 

D’après lui, certains ont critiqué le mélange des registres présents dans le drame. Mais il maintient que « le mélange heureux de ces deux moyens dramatiques (« une intrigue de comédie, fondue dans le pathétique d’un drame»), employés avec art, peut produire un très grand effet ».

 

Dans cette préface, il présente aussi d’autres pistes qu’il aurait pu explorer et explique les raisons pour lesquelles il ne les a pas retenues et évoque chacun des personnages.

 

Enfin, Beaumarchais veut défendre à travers sa pièce le genre du drame dont il fait la promotion car c’est encore un genre déconsidéré.

2. La Peau de chagrin, Honoré de Balzac, 1830

 

Balzac, dans cette préface d’une dizaine de pages qu’il présente comme un « essai psychologique », répond tout d’abord aux accusations dont il est la cible suite à la publication de son essai intitulé Physiologie du mariage un an avant la publication de son roman La Peau de chagrin.

 

Il s’estime calomnié : sa moralité est mise en doute et on lui reproche d’être cynique, misogyne et misanthrope. Pour faire taire les médisants et éviter tout malentendu, Balzac précise qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre le tempérament et le comportement d’un écrivain et les idées contenues dans ses ouvrages. Pour lui, assurément, « un auteur peut concevoir le crime sans être criminel ! »

 

Si le lecteur de La Peau de chagrin commet cette erreur, il ne verra en lui qu’« un joueur » ou « un viveur » (c.à.d. un « jouisseur ») et pour ne pas qu’il se méprenne sur son compte, esquisse son autoportrait : il se présente comme un homme « jeune, rangé comme un vieux sous-chef, sobre comme un malade au régime, buveur d’eau et travailleur ».

 

Balzac expose ensuite ses pensées sur « l’art littéraire ». Si les écrivains détiennent des capacités d’observation et d’expression singulières, cela ne fait pas pour autant d’eux des hommes de génie car, d’après-lui, seuls ces derniers sont dotés d’un talent rare, d’« une sorte de seconde vue qui leur permet de deviner la vérité dans toutes les situations possibles». Ils sont, par exemple,  capables de décrire avec brio des lieux où ils n’ont jamais séjourné. Selon Balzac, le lecteur peut admirer l’écrivain pour sa nature, sa constitution exceptionnelle, parce qu’il a reçu  un don d’origine divine, ou pour le plaisir ou l’utilité que lui procure son œuvre.

 

A la fin de sa préface Balzac critique les modes littéraires et la société française du XIXème siècle. Il exprime son rejet des œuvres larmoyantes et mélancoliques ainsi que des romans historiques avec leur débauche de violences et de crimes et s’interroge sur les sujets qu’il reste à aborder en littérature. La société contemporaine, selon lui, ne peut pas donner naissance à de « belles peintures », n’ayant pas de beaux modèles à peindre. Balzac critique les « habits mesquins » (c.à.d. de mauvais goût) de ses contemporains, les « révolutions manquées » (contexte historique : les Trois Glorieuses en 1830), les « bourgeois discoureurs », la religion qui est « morte », les rois en « demi-solde » (c.à.d. inactifs). Pour lui, cette époque ne peut donc faire que l’objet de railleries dans la littérature.

 

Pour finir, Balzac précise que dans son roman, il s’efforce davantage de peindre des types que des portraits.

 

Quelques-unes des idées exprimées ici le sont également dans le roman dont l’une des finalités est d’exposer des théories de l’auteur.

3. Deuxième édition de Thérèse Raquin d’Émile Zola, 1867

Dans cette préface, Zola se défend contre la violence des accusations portées contre son roman Thérèse Raquin.

 

L’œuvre, jugée répugnante et immorale, a, en effet, reçu un accueil féroce. Mais pour Zola, ses détracteurs n’ont pas compris le roman. Il s’explique donc ici sur ses véritables intentions et expose sa volonté d’étudier des tempéraments qui cèdent à leurs passions. Il s’agissait avant tout d’une entreprise scientifique, d’une expérimentation, ses priorités étant de rechercher le vrai et d’analyser le cœur humain.

Après avoir apporté des précisions sur la méthode d’analyse scientifique qu’il a suivie, Zola attaque à son tour ses détracteurs et énumère les reproches plus judicieux qui auraient pu lui être faits par la critique littéraire.